Premiers pas dans la réflexion : Enseigner … gérer l’hétérogénéité
Tout juste 18 ans pour la rentrée de septembre 1973, cela aurait pu être une rentrée universitaire un peu décalée dans le temps, ce sera à nouveau une rentrée lycéenne : Prépa à Kérichen. Ma professeure de mathématiques souhaitait vivement que j’entre en maths sup, cela aurait été sans doute pour elle un retour sur investissement. Je choisis TME, sigle inconnu aujourd’hui et peu connu aussi à cette époque. TME Travaux Manuels Educatifs, cette classe ouvrait sur le concours d’entrée à l’école formant des professeurs certifiés en travaux manuels.
Un lycée au Mans ou à Brest, option coupe et couture ou bois et fer, je choisis bois et fer, donc Brest. Je me retrouve début septembre dans une classe majoritairement peuplée de garçons, une vingtaine, nous étions quatre filles.
Après une séance d’essai de travail en atelier sur le bois puis sur le fer, nous devions à nouveau choisir bois ou fer. J’habitais dans une entreprise de menuiserie, la sciure, les copeaux, le bruit de la scie circulaire, les coups de maillet, l’odeur du bois qui sèche dans les étuves faisaient partie de mon quotidien. Je choisis option fer. Je me retrouve seule fille avec six garçons.
Chaque semaine la séance d’atelier durait huit heures, quatre heures le matin et quatre heures l’après midi. Le professeur nous proposait de réaliser des pièces sur une ou plusieurs séances. Au fil des cours on était amené à utiliser de nouveaux outils ou machines.
Le professeur n’avait jamais accueilli de filles à son atelier fer. Pour une des premières séances, la réalisation nécessitait de scier une barre de métal sur peut-être un mètre, épreuve de force que d’actionner longtemps d’avant en arrière une scie à métaux. J’avançais droit mais lentement, le métal que je sciais semblait bien plus dur que celui de mes collègues. Le professeur tournait autour de moi, les autres avaient terminé, je sentais que je perturbais son organisation. Je continuais, imperturbable, à scier jusqu’au bout, la coupe était nette. Le professeur ne pouvait me faire de remarque.
Les cours se succédaient, je sentais l’impatience du professeur monter, je résistais et j’étais soutenue par un garçon de l’atelier.
Le jour où on utilisa le chalumeau pour la première fois l’agacement chez le professeur montra d’un cran.
Démonstration : il met des lunettes de soudure, nous demande de nous positionner en demi-cercle et de nous éloigner, il allume le chalumeau, règle la flamme puis l’éteint. Chacun à notre tour, à ses côtés nous devions reproduire l’opération. Arrive mon tour, je prends les lunettes, elles ne tiennent pas, l’élastique est trop lâche, rien pour régler, il part chercher une autre paire, fouille dans une caisse, en sort une qui ne semblait pas plus adaptée, soupire, se résout à faire un nœud à la paire qu’il tient dans les mains. Je l’enfile, ça ne tient toujours pas convenablement, j’agrandis la boucle du nœud, je la remets, ce n’est pas très confortable car les lunettes tiennent à peine même à l’aide des oreilles. Tout le monde attend, j’allume le chalumeau, je règle la flamme et je l’éteins.
Ce même professeur donnait aussi le cours de menuiserie, il me propose de changer d’option expliquant que la menuiserie était moins physique, et sans doute plus adaptée. Je décline son offre je reste en fer.
Après le chalumeau nous passons à la soudure à l’arc. Pas de soucis d’élastique, on se protège avec un masque que l’on tient de la main. Même organisation pour l’apprentissage, démonstration par le professeur puis manipulation chacun son tour : après l’amorce, on pratique des petites touches à l’aide de l’électrode. J’effectue mon essai, et là le professeur rayonnant me regarde en me disant, très bien, c’est un peu comme de la couture vous vous débrouillez très bien. Je pose mon masque en silence, et je regagne ma place dans le demi-cercle.
Le professeur avait gardé le perçage pour le second trimestre. La pièce à exécuter ce jour-là était un serre-livres à partir d’une plaque de tôle de 25 sur 30 cm. Une des opérations consistait à percer la plaque d’une dizaine de trous pour découper ensuite un arrondi. Il y avait deux perceuses dans l’atelier. Le professeur fait sa démonstration, il place la tôle la maintient de la main gauche, met la machine en route, graisse le foret puis à l’aide d’une manivelle il descend le foret qui pénètre dans la plaque, bruit strident, il relève le foret.
Je m’installe devant une perceuse, je positionne ma plaque de tôle, la maintient de la main gauche. Entre les deux perceuses, une affichette, un dessin montre une plaque de tôle tournant avec le foret lors du perçage. J’interpelle le professeur : on ne fixe pas la plaque ? Il me répond nous travaillons sur une tôle fine, vous pourrez la maintenir sans effort. Je mets en marche la machine, je serre ma main gauche sur la tôle je descends le foret, la plaque se met à tourner et effleure mon pouce gauche. J’arrête la perceuse, je regarde l’affichette et j’entends : nous aurions dû fixer la tôle.
J’avais un peu gagné, et j’avais surtout entamé une réflexion sur enseigner en tenant compte de l’hétérogénéité des personnes
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