Je viens de retrouver, en rangeant les archives dans mon bureau, un article qui avait été publié sur le Télégramme en 1999 quand j’enseignais en SEGPA dans une classe un peu expérimentale fonctionnant en alternance 2 jours école 3 jours entreprise, qui était ouverte à l’issue de la 3e SEGPA.

Pas de féminin dans l’écriture mais c’était ainsi il y a près de 25 ans.

Le titre « Le zéro à quoi ça sert ? »

« Monique Argoualc’h, un professeur pas comme les autres, anime cette classe d’alternance pour que s’en sortent ceux que le circuit éducatif classique rejette.

C’est jeudi matin, comme tous les jeudis, la classe se réunit autour d’une table ronde. Aujourd’hui c’est un peu exceptionnel : des anciens sont revenus pour faire part de leur expérience.

Une dizaine d’adolescents sont là, attendant qu’on leur donne la parole. Ils ont entre 15 et 18 ans. Pour la plupart, ils savent ce qu’est le monde du travail, se lever tôt, besogner, se coucher fatigué. Ils sont stagiaires ou apprentis, parce qu’à l’école, ils ne trouvaient pas leur place. Ce sont des inconnus du fond de la classe, ceux qu’on laisse à côté du radiateur.

Le droit à la différence

« Je n’aimais pas aller à l’école. Les profs ne s’occupaient que des bons ! » affirme Gwen avec sincérité. Ce sont des enfants tous lucides de leurs difficultés, de leurs lacunes. En classe, ils étaient montrés du doigt ou, pire ignorés.

Ici ils se remettent en question avec la plus grande franchise qui soit, en en rigolant. Problèmes de raisonnement, de lecture, d’écriture, chacun porte sa croix et a choisi l’alternance pour qu’elle soit moins lourde.

Ici point de pudeur : on sait ce que l’on vaut au regard de l’éducation. On sait aussi que l’on est utile au regard de la société. Réussir par le travail, se prouver aux yeux des autres. Etre fleuriste, mécanicien, boulanger, être comme tout le monde. Etre surtout soi-même.

La différence est une richesse. L’enjeu, c’est qu’elle ne vous est pas reprochée. Le pari, en ces lieux, c’est de se construire avec le matériel que l’on a. Rester simple face à ce qui paraît complexe.

Sabine se tait. Pourtant, ses grands yeux clairs témoignent de son ouverture sur le monde. Elle est persuadée qu’elle n’est « bonne à rien ». Une camarade s’insurge : « Non Sabine ! lorsqu’il y a un différent dans la classe, c’est toujours toi que le règles. Tu es douée pour les relations humaines ! ».

Prendre du recul puis redémarrer

Qu’est-ce que le zéro, par exemple ? Un rond sur une copie ? Une note ? Une sanction ? Un symbole réducteur ? Dans cette classe d’alternance, le professeur préfère les couleurs. Quand la copie est au rouge, c’est qu’il faut marquer un arrêt, prendre du recul puis redémarrer. Le maître mot est avancé et ne pas avoir peur de reconnaître que l’on ne sait pas. Un jour on saura. La preuve, c’est que le voisin, lui, il sait.

C’est ainsi que dans le fond d’une classe, près du radiateur, se trouvent souvent des qualités qu’un professeur n’a pas su exploiter. C’est vrai, l’hétérogénéité humaine est dure à gérer mais l’intelligence, c’est la capacité de comprendre.

Comprendre un théorème, comprendre une fleur, comprendre l’autre …

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