Des bouts de solutions contre le décrochage
J’enseigne depuis 2002 dans une classe relais, classe qui accueille des collégien-ne-s en décrochage, décrochage se manifestant sous différentes formes : fuite, rejet, repli sur soi …
Venant de SEGPA, la première année j’ai observé ces élèves, et, malgré des parcours des histoires de vie singulières j’ai tenté de trouver des invariants. Très vite j’ai vu que les élèves de classe relais ne sont pas les élèves de SEGPA avec quand même un doute pour certain-e-s.
La lecture du livre de E. Martin et S. Bonnéry « Les classes relais, un dispositif pour les élèves en rupture avec l’école » m’a apporté un éclairage notamment pour comprendre les stratégies que les élèves mettent en place, qui sont qualifiées par les auteurs de processus d’agencement des repères.
Des bouts de solutions ….
À leur arrivée au Dispositif Relais, je rencontre tous les élèves individuellement, et lors du premier entretien je leur demande de dérouler leur parcours scolaire, en s’arrêtant si possible sur chaque année passée depuis leur entrée en maternelle. J’insiste pour qu’ils-elles retrouvent des souvenirs, je leur demande de les qualifier en bons ou mauvais souvenirs, parfois les élèves évoquent les personnes rencontrées les lieux, ou des travaux particuliers. Souvent les difficultés sont pointées par les élèves très tôt dans leur cursus, c’est traduit par « je ne travaillais pas », « je faisais des bétises », « je n’aimais pas les profs », ou aussi « j’étais nul-le ». À chaque entretien d’accueil je suis assez touchée par l’implication des élèves à retrouver leur parcours, à essayer de s’en souvenir. Les parents sont aussi présents à cet entretien et je propose aux parents de confirmer ou d’infirmer les dires de leurs enfants, et là souvent les parents sont émus d’entendre leurs enfants parler de leur vie scolaire avec une certaine maturité car ils-elles le font avec recul. Pour terminer je remercie souvent l’élève d’avoir évoqué ses souvenirs.
C’est la première boucle de l’accroche, essayer d’établir une forme de confiance en considérant l’autre comme un-e interlocuteur-trice valable.
E. Martin et S. Bonnéry proposent trois logiques dans lesquelles les élèves s’inscrivent plus ou moins.
- La juxtaposition : l’élève adopte des attitudes différentes, et même opposées selon les contraintes. Pour l’élève il y a un dedans et un dehors, et il ne fait pas le lien.
- La dialectisation : l’élève compose, il n’oppose plus ses attitudes, il ne choisit plus entre deux postures, il développe un discours intérieur, un retour sur soi.
- Le recouvrement : L’élève vit l’école comme une injustice, une agression personnelle, il ne se croit pas capable de réussir.
Avoir en tête ces fonctionnements aide à mettre en place une pédagogie pour tenter d’amener les élèves à renouer avec l’école, mission des classes relais.
Bienveillance, confiance, persévérance, exigence, pour raccrocher.
Retrouver confiance en soi, en les autres et notamment en des adultes, faire du lien entre le dedans et le dehors, développer des compétences, prendre plaisir et le dire, la motivation n’étant pas un pré-requis, voici ce qui est le fondement de mes pratiques.
Proposer aux élèves des situations complexes ancrées dans le réel. Faire pour de vrai et valoriser l’estime de soi.
Depuis 2003 je propose aux élèves de se former aux usages combinés et réfléchis d’internet pour devenir à leur tour des formateurs-trices auprès d’un public âgé. Ce projet intergener@tions reconnaît aux élèves un savoir car on leur confie la formation d’autres personnes. Leur rôle est réel, non factice, et tous les élèves qui ont participé à ce projet ont assuré leur mission leur rôle avec sérieux, implication.
Les amener à faire le lien entre le dedans et le dehors.
Depuis 3 ans je publie avant le début de chaque semaine, une fiche-infos sur le site du Dispositif Relais. La publication est annoncée via Twitter (chaque élève a un compte professionnel twitter avec une charte d’utilisation) car pour un-e élève consulter un site n’est pas dans son fonctionnement par contre voir via Twitter qu’un article est publié, cela semble davantage proche de ses usages. Sur cette fiche-infos, je note les travaux de la semaine, les rendez-vous, des pistes pour organiser le travail collaboratif, des liens hypertextes pour aller plus loin. Peut-être est-ce une pédagogie modestement inversée, en tous cas c’est une pédagogie active, l’idée étant que les élèves en arrivant au Dispositif Relais aient consulté les infos et se soient déjà mis en projet. Cette démarche est un pas pour consacrer un peu de temps personnel pour l’école en dehors de l’école et donc de faire du lien entre le dedans et le dehors. Ce travail prend du temps à se mettre en place car en classe relais, nombreux sont les élèves qui n’ouvrent plus ou pas leurs cartables une fois sorti-e-s du collège. Créer l’envie de le faire, c’est un beau défi pédagogique … Des indicateurs encourageants : des élèves qui déplorent avoir dû perdre du temps au DR pour s’informer alors qu’ils-elles auraient pu le faire chez eux-elles, un élève a décidé de venir 15 minutes plus tôt pour lire la fiche-infos car chez lui il ne peut accéder régulièrement à l’ordinateur, un élève qui demande de l’aide pour installer l’application Twitter sur son téléphone, une autre qui pour installer l’application a fait le choix d’enlever des jeux car son appareil n’avait pas assez de mémoire …. Cette fiche-infos hebdomadaire publique permet aussi aux familles d’être associées à la scolarisation de leurs enfants.
Twitter permet aussi le lien entre la vie à l’école et la vie en dehors, de nombreux élèves consultent régulièrement leur fil twitter, les élèves n’étant pas toutes et tous présent-e-s ensemble ils-elles publient des informations sur l’avancée des travaux collaboratifs faits ou à faire, ou d’autres informations sur la vie au DR, les publications sont nombreuses. Parfois dans le week end, le soir ou même en vacances, un tweet rédigé par un élève est publié, ou un « j’aime » ou un retweet est fait. Ces actions montrent que l’école est présente dans leurs têtes, fait partie de leur vie.
Au Dispositif Relais quand un-e élève a terminé un travail il-elle remplit son journal et note ce qu’il-elle a fait, ce qu’il-elle a appris ou retenu. Quand un-e élève démarre au DR, ce travail d’écriture est très laborieux, et par des questions, on l’amène à formuler ce qu’il-elle a fait mais surtout comment il-elle a travaillé, pourquoi il-elle a réussi ou pas … Au fil des séances, de réels progrès sont repérés d’une part dans le contenu mais aussi dans la formulation et dans l’orthographe. Ce travail est possible car les élèves en classe relais sont peu nombreux-ses. Ces journaux sont transmis aux collèges de rattachement des élèves, ces documents peuvent permettre aux équipes de mieux connaître leurs élèves, être de véritables outils de diagnostic, et peut-être aider les équipes à comprendre pourquoi leurs élèves ne comprennent pas ou ne réussissent pas.
Bienveillance, certes et donc exigence.
Les temps passés au DR (2 ou 3 demi-journées par semaine le reste de la semaine ils-elles sont dans leurs classes dans les collèges de rattachement) sont des temps où ils-elles travaillent de manière individuelle ou collaborative car je pratique la pédagogie en mode projet. Tous les élèves travaillent sur les mêmes projets en présentiel ou via des outils numériques. Face à mon étonnement devant la manière dont un élève occupait sa table, il me répond « Ici on a des tables pour travailler alors qu’au collège on a des tables pour écouter » … Son propos en disait long sur ses postures.
Cet extrait de retour d’expérience ne prétend pas résoudre le décrochage scolaire mais peut peut-être apporter des bouts de solutions. La motivation n’est pas un pré-requis c’est une conséquence de ce qu’on met en place pour nos élèves. Avoir un-e élève fier-ère de lui-elle même, prenant plaisir à travailler à faire à expliquer, pensant à l’école une fois sorti-e du collège ne résoudra pas l’échec qui est massif à l’entrée dans une classe relais, ne fera pas remonter magiquement les notes mais aidera peut-être l’élève à être plus disponible pour entreprendre des apprentissages, à investir l’école et lui permettra d’emmagasiner des expériences positives socle d’un équilibre psychologique plus aisé à l’âge adulte.
Un élève échangeant avec moi me dit « on pourra faire ça chez nous » en pensant faire au DR, je le regarde il se reprend et dit « faire au DR », je le regarde et dans mon for intérieur je me suis dit « Bingo ! le lien est fort ».